Du Fanatisme – Quand la Religion est malade
Du P. Adrien Candiard

Le père Adrien, prêtre dominicain et islamologue, compte parmi les grandes voix spirituelles d’aujourd’hui. Il a publié plusieurs livres, concernant l’islam, le dialogue interreligieux ou la spiritualité. Son dernier ouvrage « Du Fanatisme – Quand la Religion est malade » est divisé en trois parties : Les raisons d’une folie – Le culte des idoles – Chemins d’iconoclasme.

Vu les circonstances dramatiques de notre époque, mue par le désir de fraternité et d’y contribuer construisant des ponts d’amitié en réponse à la violence, j’ai été attirée par le titre de ce livre. En parcourant la première partie, je suis rentrée dans la peau du fanatique, j’ai suivi son raisonnement, sa logique, j’ai saisi le pourquoi de son agir. Au fur et à mesure que j’allais de l’avant, une Lumière inondait mon cœur, suscitant une remise en question, et… j’entrais en contemplation… une voie qui me rapprochait du Cœur de Dieu, de la gratuité de Son Amour.C’est pourquoi, cher lecteur, je partage avec toi mon interview avec le P. Candiard, (en deux parties), espérant t’inciter à prendre un moment de lecture et de découverte profonde. En quelques phrases, père Adrien explique le but de son livre :

« Comme croyant, je suis scandalisé par les choses qu’on constate tous les jours. La foi devrait nous rendre meilleurs, mais ce n’est pas toujours le cas, et devant les attentats et la violence, beaucoup de gens disent que les religions sont sources de problèmes. C’est un vrai défi qui nous est posé comme croyants !
Le but du jeu c’est de comprendre les raisons de ce qui semble être folie pure. J’ai donc essayé de rentrer dans la cohérence. Cette recherche m’a amené à écrire ce petit livre.

1.Dans la première partie du livre vous expliquez le courant théologique du Hanbalisme : On ne peut se rapporter à Dieu, le tout Puissant, l’absolu, qui n’est pas accessible à la raison. Dieu s’identifie à ses commandements, et donc agir comme musulman c’est être musulman. Pourquoi l’agir du musulman selon la théologie du Hanbalisme ne se conforme pas au Dieu Miséricordieux, alors que tout musulman récite Besm Allah AL Rahman Al Rahim ?
« Il est certain que le Coran dit des choses sur Dieu et il est notamment tout le temps question de sa Rahma, on peut donc dire : « voilà c’est une information sur Dieu ». La plupart des musulmans distinguent en fait dans le Coran deux choses, ce qui est du domaine du « Khabar », information sur Dieu, et ce qui est du « Amr », du commandement de Dieu. Pour le dire un peu schématiquement : pour le courant du Hanbalisme, comme Dieu est jugé inconnaissable, au-delà de toute compréhension, on considère que, dans le Coran, il n’y a que du « Amr ». Même les informations sur Dieu ne sont pas des informations, mais des commandements. On applique à Dieu la Miséricorde mais on n’en connaît pas vraiment le sens. Ce qu’on sait en revanche, c’est que Dieu veut être appelé Miséricordieux. Le Coran ne donne pas une information sur Dieu, mais une information sur ce que l’homme doit faire, notamment dire « al Rahman AL Rahim ». Tout se place du côté du « Amr » et rien du côté du « Khabar » quand il est question de Dieu.
« On est d’accord que cette école n’est pas tout l’islam, c’est un courant théologique, et le drame réside dans ceux qui disent que c’est le seul moyen pour être musulman mais historiquement ce n’est pas vrai. »

2. Les autres courants musulmans ne reconnaissent pas dans les fanatiques de vrais musulmans. Et pourtant ce sont des musulmans ?
« Je comprends qu’un musulman dise : « ce n’est pas cela l’islam pour moi. » Il considère que c’est une mauvaise compréhension de l’islam. Moi non plus, je ne me reconnais pas dans tous les chrétiens. Il y a des chrétiens qui font n’importe quoi, dont les actions n’ont rien à voir avec ce que je crois être réellement le christianisme, mais je ne peux pas dire « ah ces gens-là ne sont pas des chrétiens », si ! ils le sont. En fait si je dis que « ceux-là ne sont pas des chrétiens », c’est comme si je disais « ce n’est pas mon problème ». Les membres de Daesh sont des musulmans, et c’est un vrai problème que les autres musulmans, qui ne sont pas du tout leurs complices ou leurs soutiens, doivent prendre en compte. C’est à eux de comprendre pourquoi ce genre de mouvement naît aujourd’hui dans l’islam, comment on peut le dépasser, comment peut-on y répondre, et la première réponse doit venir des musulmans. C’est à eux d’argumenter, vis-à-vis de ces musulmans, pour leur dire « vous comprenez mal l’islam ».

3. La solution peut-elle être dans un retour au mysticisme ?
« Le soufisme est à la fois une mystique et une piété populaire. Après des siècles où il a structuré la vie religieuse des musulmans, dans un pays comme l’Égypte, on constate que ces dernières décennies, il a été affaibli, en particulier par le salafisme. Il me semble qu’un renouveau de la spiritualité serait une très bonne nouvelle ».

4. Dans la deuxième partie intitulée « le culte des idoles » vous parlez de la vertu comme une modération située entre le défaut et l’excès. Vous donnez l’exemple de la vertu du courage située entre lâcheté et témérité. Vivre la vertu de religion ne peut signifier être tiède car Dieu vomit les tièdes. Comment vivre cette vertu avec modération ?                    « La modération dans la vertu, c’est la théorie d’Aristote, philosophe grec du 4e siècle avant Jésus-Christ, qui estime que la vertu est toujours une question d’équilibre lorsqu’il s’agit de vertu morale, donc entre un excès et un défaut, tel le courage. C’est applicable pour les vertus morales, mais ce n’est pas vrai pour les vertus intellectuelles : la Sagesse par exemple. Pour Aristote on ne peut être trop sage, ce n’est pas un équilibre entre la bêtise et l’excès d’intelligence. Ce cadre traditionnel pour parler de la vertu, beaucoup de contemporains, en Occident du moins, l’appliqueraient volontiers à la religion, qu’il faudrait alors d’après eux pratiquer avec équilibre, entre un « pas assez » (mais après tout, diraient-ils, ce ne serait pas un grand mal !) et le risque de l’excès, identifié au fanatisme. Je crois que cette approche courante est absolument fausse !
Ce que je propose dans le livre est justement le fait que le fanatisme n’est pas un excès de religion, mais une maladie de la religion. On peut être très religieux sans être fanatique. Pour un chrétien être trop religieux sans être fanatique c’est être Saint, ce n’est pas être modéré, ce n’est pas être religieux mais pas trop, c’est vivre toute sa vie dans l’amour de Dieu. Je n’applique donc pas à la religion la théorie d’Aristote sur la vertu. »

5. En effet vous définissez le fanatisme non par un excès de Dieu mais une absence de Dieu. Un vide qu’on cherche à combler par une idole. C’est facile de confondre les commandements de Dieu avec Dieu, un verset de la Bible avec Dieu, etc. « Une idole qui ressemble à Dieu comme la grimace au sourire » : J’ai été frappée par cette comparaison, comment ne pas tomber dans ce piège ?
« Effectivement, dans ce livre j’essaie de dire que le fanatisme n’est pas en faire trop dans les questions religieuses, mais, avec quelques exemples précis, j’explique que c’est quand on remplace Dieu par quelque chose d’autre. Les fanatiques parlent de Dieu tout le temps, mais en réalité ils s’en passent. Ils ne vivent pas avec Dieu, mais ils veulent L’utiliser et, comme Dieu est trop grand pour qu’on L’utilise, alors on prend autre chose : On peut utiliser les éléments religieux, les éléments proches de Dieu, les éléments qui viennent de Dieu, et on peut tout faire. On peut tout utiliser pour remplacer Dieu, c’est ce qu’on appelle une idole. Ce qu’on adore à la place de Dieu c’est une idole. Le plus tragique est qu’on peut prendre comme idole des choses très bien ; par exemple un verset de la Bible peut devenir une idole si j’en fais un absolu. Il n’y a que Dieu qui soit absolu.
Comment sortir de ce fanatisme, de cette idolâtrie ? L’idolâtrie existe partout et c’est une tentation de l’être humain à laquelle il faut faire attention. Évidemment tous les fanatiques ne mettent pas des bombes dans les métros pour tuer les gens au nom de Dieu, heureusement ! Tous les fanatismes ne se valent pas, mais c’est une tentation présente au cœur de l’homme, et ça ne se guérit pas uniquement avec des lois. On peut faire des lois contre l’injustice, mais il y aura toujours des gens injustes, on ne supprimera pas ainsi l’injustice. Il faut que le cœur de l’homme change et il change avec chaque être qui naît et qu’il faut aider à choisir le bien.
Comment on en sort ? On n’en sort pas en ne parlant pas de religion. Si on croit que le fanatisme est un excès de religion, alors il faudrait arrêter de parler de religion pour que le fanatisme disparaisse. Or même après une forte sécularisation, le fanatisme n’a pas disparu, il est plus présent que jamais. Ce n’est donc pas en rejetant la religion de l’espace public qu’on soigne le fanatisme, mais au contraire en apprenant à mieux en parler, et en apprenant à parler de Dieu. »

6. Vous écrivez également: « Oser faire rentrer l’amour de Dieu dans notre vie c’est guérir la sclérose du cœur ». Pourquoi est-ce si incommode de se laisser aimer par Dieu ?
« La vraie difficulté est d’accepter que Dieu m’aime comme je suis. Peut-être que ce qui rend ceci difficile est notre instinct de propriétaire (Adam et Ève qui veulent prendre le fruit pour eux), nous voulons être propriétaires du bien. Ce qui nous déroute, c’est que le Bien, c’est Dieu qui nous le donne, sans qu’on le mérite, sans qu’on l’achète. On trouve ceci un peu incommode parce qu’on préfère avoir les choses qu’on a gagnées, qu’on a méritées. Si vous gagnez votre salaire avec votre travail, il est à vous et vous en faites ce que vous voulez. Si l’argent vous tombe dessus, vous dites « c’est bien mais pourquoi on me le donne » ? Y a-t-il un piège ? Nous n’avons pas l’habitude d’être aimé gratuitement.
Avec Dieu, cet Amour qu’Il nous donne, eh bien on ne le possède pas, il ne nous appartient pas. Il nous est juste donné, et on aimerait quelque chose de plus sûr, de plus solide, de plus certain, alors que Dieu nous demande uniquement la foi, c’est-à-dire la confiance en Lui, le fait qu’Il ne nous lâchera pas et que cet amour Il nous le donnera toujours.

(première partie)

Propos recueillis par Rima Saikali

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