L’être humain « capable »
J’ai découvert récemment l’œuvre et la pensée du philosophe Paul Ricœur. J’ai été frappé par son grand respect et son estime pour l’être humain, en tant qu’être « capable « au-delà de l’handicap, de la maladie ou de la vieillesse.
Vous lirez ici les grandes lignes de sa pensée.
Donner et recevoir
Le philosophe français Paul Ricœur (1913-2005), professeur à l’Université de Strasbourg puis à l’Université de Paris, a participé, avec Levinas et Kolakowski, aux tables rondes philosophiques organisées par le pape Jean-Paul II à Castel Gandolfo, Rome.La personne humaine
Ricœur accorde une grande importance à la notion de capacité lorsqu’il s’agit de comprendre qui nous sommes en tant qu’êtres humains. Le danger est de ne voir les humains qu’en fonction de leurs performances. Il dit que notre société est toujours celle dans laquelle nous mesurons les gens selon leurs performances, et non selon leurs capacités, dont certaines ont pu être étouffées par la société, la vie ou la maladie. Son approche consiste à trouver ce qu’il appelle « l’être humain capable derrière l’être humain inefficace, derrière l’être humain impuissant ». Ricœur souligne que « c’est dans la capacité d’être humain que réside le caractère digne de respect ».

Notre fragilité
Le thème principal de son œuvre « Soi-même comme un autre » est l’être humain souffrant, qui est, selon lui, malgré tout, « un être humain capable ». Il raconte comment, lorsqu’il était au Canada, il y a eu le scandale de la thalidomide. Son ami de l’Université de Montréal supervisait l’équipement orthopédique pour les enfants qui n’avaient pas de bras. Les enfants ont appris à utiliser leurs pieds pour écrire, mais les enseignants ont rejeté cela parce que « c’était trop éloigné de la forme humaine » … (« L’éthique, entre le mal et le pire », 129-130).
Il insiste également sur l’importance de vivre dans la réalité du donner et du recevoir, même quand on ne peut plus rien faire, et tient compte non seulement de nos capacités en tant qu’êtres humains mais aussi de nos faiblesses et fragilités. Il a un jour écrit une courte réflexion à des amis psychiatres intitulée « La souffrance n’est pas la douleur », décrivant comment la souffrance nous atteint en tant qu’êtres humains « dans toute la panoplie de nos capacités », c’est-à-dire dans notre « pouvoir être » et pas seulement en notre « pouvoir de faire ».
Les psychanalystes peuvent, par exemple, rencontrer chez les patients l’incapacité de raconter leur histoire parce qu’ils peuvent être « submergés par des souvenirs insupportables, incompréhensibles ou traumatisants ». Mais la reconnaissance de cette incapacité à communiquer leur histoire est, en fait, une capacité qui ouvre sur ce que signifie être une personne humaine. C’est « l’incapacité-de-dire, sous toutes ses formes… [qui] est la première marque de fragilité ». La maladie, la vieillesse et les handicaps sont autant d’exemples de cette fragilité, mais ils ne nous détruisent pas en tant que personnes humaines (Philosophical Anthropology, 250-251).
Selon Ricœur, il n’y a pas nécessairement contradiction entre bonheur et souffrance. Il comprend le bonheur comme « la capacité de trouver un sens, une satisfaction, dans l’accomplissement de soi », mais cela n’exclut pas la souffrance. Par souffrance, il n’entend pas simplement douleur : c’est, dit-il, « la réduction, voire la destruction de la capacité d’agir, ou de pouvoir agir ».

Donner jusqu’au bout
S’exprimant lors d’une conférence médicale à Paris, Ricœur a rappelé les paroles d’un philosophe danois qui disait : « ce qui reste humain, la dernière lueur de l’humain, c’est la capacité d’entrer en relation, de donner et de recevoir ».
Il souligne combien il est important de vivre dans la réalité du « donner et recevoir… [même] quand on ne peut plus rien faire ». Il faut, dit-il, défendre jusqu’au bout cette « capacité d’échange, de donner et de recevoir chez le malade grave ».
La bienheureuse Chiara Badano, jeune Italienne des Focolari décédée à 18 ans d’un cancer des os, est un exemple de quelqu’un qui dépasse la blessure, la douleur. Dans une lettre, elle a écrit : « Maintenant il ne reste plus rien de sain en moi, mais j’ai toujours mon cœur, et avec cela je peux toujours aimer ». Elle a également pu vivre en recevant. Elle a écrit : « Je ne fais vraiment rien du tout ! Au contraire, c’est vous tous qui m’aidez ». C’est un exemple de la mise en pratique de ce que Ricœur appelait la capacité et la fragilité de ce que nous sommes en tant qu’êtres humains.

Elaboré per Hayat Fallah

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