À Damas, la « Maison des enfants » panse les plaies de la guerre
« Une bombe a explosé à quelques mètres seulement de ma maison. Normalement, j’aurais dû me trouver à l’endroit de l’explosion, pour rejoindre mon travail. Mais ce jour-là, j’avais retardé mon départ de dix minutes. C’est un signe du destin .” Au bout du fil, sa voix est claire, posée, une sérénité qui tranche avec le bruit des bombes et des avions qui rythment le quotidien de la capitale, Damas, en ce début d’année 2018.
Zéna, 35 ans, née au Liban, est arrivée en Syrie en juillet dernier. Membre du Mouvement des Focolari, elle s’est finalement décidée, après une longue réflexion, à rejoindre la Syrie en guerre. Dans son pays natal, elle avait connu la guerre et les bombes. Les cicatrices étaient encore bien présentes. Mais elle avait un devoir à accomplir: celui d’aider le peuple syrien. « J’avais peur, explique Zéna, mais, un jour, j’ai vu les choses positivement. Je me suis tournée vers Dieu, et je suis venue à Damas avec les Focolari. » Dès son arrivée, elle a vécu pendant six mois sous les bombardements. « Jusqu’en décembre, il y a eu des bombardements quotidiens mais on pouvait quand même vivre malgré les bombes » assure-t-elle. Jusqu’à ce jour de janvier où l’engin explosif s’est abattu à quelques mètres de chez elle. En Syrie, malgré le courage et la conviction des habitants, la peur et le danger ne sont jamais très loin.
« On pouvait vivre malgré les bombes »
À l’Est de Damas, dans le quartier pauvre de Douela, Zéna travaille à la « Maison des enfants », gérée par les Membres du Mouvement en collaboration avec des citoyens impliqués. Le Centre comprend quatre classes pour 90 enfants, âgés de 6 à 10 ans. Huit professeurs, jeunes diplômés syriens, leur donnent des cours au quotidien. « On a appelé la « Maison des enfants » ainsi, car nous devons être une famille pour eux. On a beaucoup de demandes, mais il n’est pas possible d’accueillir plus de monde, se désole-t-elle. On aide aussi les jeunes professeurs en leur donnant un salaire. Ils doivent soutenir leurs familles, qui ont souvent tout perdu. Mais l’objectif, c’est d’abord de leur apporter un véritable soutien moral. On accueille des enfants très pauvres. Beaucoup ont perdu un parent ou ont connu des violences. Il faut qu’ils soient entourés d’adultes qui les aiment».
En février, la « Maison des enfants » a dû fermer ses portes plusieurs semaines à cause des bombardements:
«c’était une période horrible pour la population de Damas, confirme Zéna. Quand on demande aux enfants s’ils ont peur des bombardements la majorité reste évasive. En fait, ils refoulent beaucoup au fond d’eux-mêmes. Il y a beaucoup de souffrances liées aux conséquences de la guerre. »Le Centre a rouvert ses portes début avril, pour le plus grand bonheur des élèves : « on les sent très heureux de venir, et beaucoup sont tristes quand ils doivent repartir. Nous devons avoir de l’amour pour chaque enfant. »
La vie a repris son cours en Syrie. La quasi-totalité du pays est sous le contrôle du gouvernement. « Ce n’est pas tout à fait calme, mais les soirs de week-end, les bars sont ouverts jusqu’à 1h ou 2h du matin. Les gens sont stressés, ils ont besoin de se défouler. » Zéna réside à la porte Est de Damas, dans la vieille ville. Le quartier n’a reçu que très peu d’obus en sept ans. Mais il porte encore les stigmates de longues années de conflit. « Aujourd’hui, il y a peu de travail en Syrie. Beaucoup de jeunes partent en Europe ou au Liban avant d’atteindre l’âge de18 ans afin d’éviter de subir le service militaire. En Syrie, il y a huit ou dix femmes pour un homme… », souffle-t-elle.
La grande majorité du territoire sécurisé
« Ici, les chrétiens sont très respectés. Au cours des sept années de guerre, les églises orientales ont pu faire les processions de Pâques dans les rues. Les chrétiens ont expérimenté la joie et la paix. On a eu une période extraordinaire. »
La trentenaire libanaise est plutôt réticente à parler de politique, « car les gens normaux n’ont rien à voir avec le jeu politique ». Mais elle ne comprend pas les récentes frappes occidentales qui ont touché le pays ces derniers jours. « À Damas, les gens n’ont pas peur de leurs dirigeants, mais des Occidentaux. Ils ont peur d’une troisième guerre mondiale. Ces frappes étaient absurdes et injustes, » s’insurge-t-elle.
« La Syrie pourra s’en relever mais cela prendra du temps »
À la fin du conflit, ce sera au peuple syrien de reconstruire son pays. Et le chantier est immense. « Damas n’est pas détruite. Mais, dans les régions d’Alep et de Homs, les dégâts sont très importants… décrit Zéna. Il faudra plusieurs années pour reconstruire. La Syrie pourra s’en relever, mais cela prendra beaucoup de temps. La livre syrienne a considérablement perdu de sa valeur, et beaucoup de familles aisées se sont appauvries. Les élites sont parties, il ne reste que les personnes en grande difficulté ; comment les jeunes diplômés peuvent-ils trouver un métier ici ? » Mais la Focolarine souligne le patriotisme des jeunes syriens : « beaucoup ont souhaité partir mais sont restés. Ils croient au redressement de leur pays. »
Avant la reconstruction matérielle et le redressement économique, la Syrie doit éradiquer les conflits armés de son territoire. Zéna en est persuadée, la fin de la guerre est proche : « s’il n’y a pas d’interventions extérieures, je suis convaincue que la guerre sur le sol syrien se terminera avant la fin de l’année 2018. Il faut redonner du travail, pour redonner une dignité aux gens. J’espère vraiment que des entreprises vont venir s’implanter et que les touristes reviendront petit à petit. J’ai beaucoup d’espoir pour que cela se termine bientôt. Il faut redonner de la motivation aux Syriens. À commencer par les enfants, piliers de la future société syrienne». « Ses » enfants, justement, Zéna doit rapidement les retrouver. Aujourd’hui, c’est à elle de préparer le déjeuner. “Je suis très motivée. Nous sommes en train de donner un nouvel élan au Centre, aux professeurs, et aux enfants. Ils sont le futur de la Syrie, nous devons leur donner de l’espoir. Chaque jour, je pars travailler avec une joie indescriptible”.

                                                                                                  Lohan Benaati

Né le 29 août 1995 à Nîmes, dans le sud de la France.
Après avoir obtenu une licence de droit, à l’université de Nîmes,
il a intégré l’école de journalisme de Bordeaux, l’IJBA, en septembre 2017
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