Je vais mal et je vais très bien
Je ne sais pas ce qui se passe en moi, ces derniers temps. Quand on me demande : « Comment vas-tu ? » Je me surprends moi-même à dire : « Je vais mal et je vais très bien ». Et, sincèrement, je n’arrive pas bien à comprendre ce qui se passe en moi, et je ne parviens pas à m’exprimer d’une autre manière.
Je vais mal parce que j’ai perdu récemment ma vieille maman de 99 ans dans des circonstances vraiment douloureuses. Je vais mal parce que le mois dernier j’ai perdu en une semaine quatre de mes amis les plus proches, dont deux aussi dans des circonstances douloureuses.
Je vais mal parce que le monde est malade et que le mal s’y déchaîne. S’il s’agissait seulement de la maladie du covid ou des catastrophes naturelles qui se multiplient, on pourrait peut-être s’y résigner, même si nombre de ces catastrophes naturelles sont finalement causées par l’homme lui-même. Mais pourquoi ces guerres sans fin, pourquoi cet égoïsme de masse qui exclut de plus en plus les plus faibles et les plus pauvres ? Pourquoi ces dictatures et ces mafias au pouvoir ? Pourquoi l’homme provoque-t-il son propre malheur alors qu’il a d’immenses trésors entre les mains ?
Et pourtant je vais très bien. D’abord parce que je me regarde de moins en moins, je ne fais plus trop attention à mes succès ou à mes échecs, je commence à me convaincre vraiment que mon bonheur c’est de donner ma vie pour l’autre. Et en ces temps de malheurs il y a tellement d’occasions de soulager les peines des autres et de leur donner un peu ou beaucoup de paix et de bonheur que ma journée, désormais, du matin au soir, n’a plus le temps de s’occuper à autre chose.
Ce n’est pas de la vertu ou un mérite quelconque, c’est l’assurance en moi que tout le reste ne vaut rien. Que je n’ai plus rien d’autre à faire jusqu’à mon dernier souffle que de me battre pour le bonheur des autres. Car c’est bien de bataille qu’il s’agit. Affronter le mal tel qu’il est, le démasquer, le dénoncer, en moi avant de le faire chez les autres. Car chaque jour je risque avec toute la bonne volonté du monde de tomber dans les pièges du mal.
Mais j’ai une chance merveilleuse. A force d’avoir cheminé dans cette direction déjà depuis de nombreuses années, je me suis retrouvé, sans m’en rendre compte au début, dans une famille d’amis qui sont désormais mes compagnons de voyage pour toujours. Et c’est d’abord avec ces amis que nous faisons cet exercice de nous aider à vivre l’un pour l’autre, à « vivre l’autre » dans la réciprocité la plus totale.
Et alors on devient crédible. Car ce n’est plus moi qui parle, mais c’est ce « nous » qui a commencé à nous purifier de toutes les déviations subtiles de ce « moi » qui cherche toujours à prendre le dessus. Car dans la réciprocité, je vis pour le bonheur de l’autre et l’autre pense à mon propre bonheur et j’ai un souci majeur en moins pour toujours. Surtout que cette belle bande de la réciprocité s’élargit chaque jour comme une tache d’huile et nous entraîne avec elle.
Alors on a vraiment la force de se battre. Pas tellement en dénonçant le mal de l’extérieur, car cela ne sert presque jamais à rien, mais en touchant les gens de l’intérieur, par notre attention, notre amitié fidèle et concrète. Et les fruits de cette vie nouvelle sont tellement beaux que chaque jour nous voilà envahis par de nouvelles surprises positives qui nous apportent un bonheur sans fin. Comme le message de cette amie qui souffre depuis des années d’un problème personnel terrible et insoluble, une amie que j’ai toujours essayé d’accompagner avec un sentiment d’impuissance et qui m’envoie ce message il y a quelques jours : « Cher Roland, je ne sais pas ce qui se passe, mon problème est toujours le même, mais maintenant je vais très bien ! » J’en ai presque eu les larmes aux yeux. Mais alors notre « virus » marche et il est contagieux ? Vous comprenez alors pourquoi je vais mal et que pourtant je vais si bien, quand je vois de tels miracles… qui en plus sont en train de se multiplier…
Roland Poupon
Spread the love