Du Fanatisme – Quand la Religion est malade
Du P. Adrien Candiard (Suite)

Le père Adrien, prêtre dominicain et islamologue, compte parmi les grandes voix spirituelles d’aujourd’hui. Il a publié plusieurs livres, concernant l’islam, le dialogue interreligieux ou la spiritualité.

Son dernier ouvrage « Du Fanatisme – Quand la Religion est malade » est divisé en trois parties : Les raisons d’une folie – Le culte des idoles – Chemins d’iconoclasme.

7. Être aimé par Dieu nous pousse à L’aimer et à aimer Ses créatures : le contraire n’est-il pas vrai ?
« C’est important d’apprendre à aimer les créatures pour aimer Dieu, sachant que si on n’arrive pas à aimer les créatures, on n’aime pas Dieu. Mais quelle est l’origine de l’amour des créatures ? Pour arriver à aimer autour de soi, si on essaie avec ses propres forces, on est en général vite déçu de soi-même : on voudrait pardonner, on n’y arrive pas, on voudrait rester calme et on se met en colère, on voudrait ne plus penser à cette histoire et on y repense tout le temps, on est toujours devant ses propres limites. On a l’impression qu’il suffirait de vouloir ! L’expérience constante de tous est qu’on a du mal à aimer, et c’est très humiliant, et on se dit : « pourquoi je n’arrive pas, Seigneur, à aimer, pourtant je le voudrais bien ». Jésus nous a dit : « Aimez-vous les uns les autres comme moi je vous ai aimés. » Mais en fait il faut bien comprendre le « comme ». Cela ne veut pas dire aimer « aussi bien que moi ». Ce serait désespérant parce qu’on le voudrait mais on n’y arrive pas.
En fait ceci signifie : « aimez-vous les uns les autres avec l’amour dont moi je vous ai aimés. C’est moi la source de votre amour, peut-être vous n’arrivez pas à aimer les autres, ce n’est pas grave, aimez avec mon Amour à moi. Lorsque vous comprendrez combien je vous aime, vous pourrez alors commencer à aimer les autres ».
Il ne nous reste plus qu’à dire au Seigneur : « Tu m’aimes comme je suis, alors je vais aimer les autres comme ils sont, je ne vais pas attendre qu’ils soient parfaits, de les changer… c’est un cadeau d’abondance que Tu me fais, je vais le partager, je vais en donner autour de moi, parce que j’en ai plein les poches, j’en ai partout ! » Le fait d’être aimé par Dieu nous permet d’aimer parce qu’en fait ce qu’on partage avec les autres c’est l’Amour de Dieu. L’Amour qu’on a reçu ! ».

8. Comment peut-on être un canal qui laisse passer Dieu au frère ? À chaque frère ?
« La vertu de chasteté est essentielle dans ce domaine. La chasteté, ce n’est pas l’absence de relations sexuelles, mais le refus de mettre la main sur les autres. Aussi au sens figuré ! C’est-à-dire ne pas vouloir posséder les autres et accepter que les autres soient toujours un mystère qui nous dépasse, qu’on peut admirer, mais certainement pas posséder et comprendre. La personne nous dépassera toujours, et le danger est de vouloir manipuler les gens même pour les amener à Dieu, car la relation que peut avoir chacun avec Dieu me dépasse toujours. Je peux être un témoin : mais vouloir être là à chaque instant c’est me mêler de ce qui ne me regarde pas. Laisser l’histoire se développer sans nous et être un témoin, un apôtre, c’est accepter de semer et de ne pas soi-même récolter. Ce qui se passe dans l’âme de celui qui m’écoute ne m’appartient jamais. Sinon on peut tout gâcher. Les parents font tous les jours cette expérience : ils font grandir leur enfant en lui laissant de l’espace afin qu’il devienne autonome, qu’il puisse faire ses choix, et c’est difficile pour les parents. Cette vertu est essentielle si on veut laisser chacun grandir avec Dieu ».

9. Saisir l’occasion pour connaître l’autre, l’accepter, le respecter, et puis agir ensemble et partager avec aisance et transparence, est un atout solide pour désamorcer le fanatisme, et, comme vous le dites, parler ensemble de Dieu, tout cela me fait grandir dans ma propre religion. Pouvez-vous expliquer davantage ce point ?
« Parmi les remèdes qu’on peut trouver au fanatisme, il y a l’expérience du dialogue interreligieux. Je ne parle pas du dialogue entre les institutions, les responsables, mais du dialogue quotidien que peuvent avoir les croyants entre eux, quand ils osent parler de Dieu. Ce n’est pas facile du tout. Quand on parle de Dieu, de ce qu’on croit, on parle de choses très intimes. Quand on parle à quelqu’un d’une autre religion, on a peur de se dévoiler, on a peur de dire ce qu’on a dans le cœur car on se demande : « va-t-il se moquer de moi ? va-t-il m’attaquer ? » et donc le préalable à ce genre de dialogue c’est la vraie amitié. Il faut vraiment se respecter, il faut s’aimer, il faut se faire confiance. C’est donc cette possibilité qu’ont deux êtres humains de partager sur ce qui est au cœur de leur vie, leur foi et ce qu’ils croient de Dieu. Ils ne sont pas forcés d’être d’accord mais ils savent que l’autre peut avoir raison. Souvent, quand on écoute avec respect quelqu’un qui fait l’effort de dire ce qu’il croit, c’est assez impressionnant, car on a affaire à la sincérité de quelqu’un, à son courage, on écoute et on entend une expérience religieuse réelle, une expérience de Dieu qui prouve que Dieu est plus grand que je ne croyais. Je croyais que Dieu était juste là où je l’avais mis, mais en fait Il parle aussi avec d’autres personnes, Il parle avec d’autres croyants, d’autres religions, Dieu parle à toutes les religions, à tous les hommes, C’est l’Esprit de Dieu qui est à l’œuvre, qui dialogue avec chaque croyant ; et entrevoir quelque chose de ce dialogue-là, c’est assez bouleversant ! C’est un très bon remède pour éviter de se croire propriétaire de Dieu. La mission de l’Église est de veiller au dialogue entre Dieu et le monde, elle est au service de ce dialogue-là ».

10. Comme troisième remède au fanatisme, vous mentionnez la prière personnelle et le silence. Et vous précisez :        « parler de Dieu avec assurance nous file comme de l’eau entre les doigts. » Comment parler de Dieu aujourd’hui ?         Ne vous semble-t-il pas que la première vertu à développer en nous serait l’humilité qui nous rapproche du Cœur de Dieu ?
« C’est l’expérience de la prière, quand on prend le temps de prier vraiment, pas de réciter simplement les prières ou de remplir le silence ou le vide. Mais c’est quand on accepte ce vide là, ce temps de silence, on découvre quelque chose d’évident : c’est qu’on ne sait pas prier. J’essaie de prier mais ce n’est pas facile et c’est bien, car je pense que la première expérience dans la prière c’est qu’on ne sait pas prier. Saint Paul dit : « Nous ne savons pas prier comme il faut. C’est l’Esprit-Saint qui vient prier en nous. » La vraie expérience de la prière, c’est l’expérience de la pauvreté. Dans le silence, ce qu’on croyait être notre « grandeur religieuse » est un petit peu faiblard. Il faut accepter de dire : « Seigneur je suis là, je m’ennuie, je pense à autre chose, Seigneur comment faire ? » C’est quand on commence à avoir besoin de Dieu, que Dieu peut venir en nous. Il peut commencer à travailler en nous. La prière nous rend humbles, on est complètement « à la ramasse » et on a besoin de Dieu. Prier c’est reconnaître qu’on a besoin de Dieu, qu’on a faim, qu’on a soif, que quelque chose nous manque. On ne peut prier à partir de son abondance, on ne prie qu’à partir de son besoin, de son indigence. On n’a qu’une seule chose à donner à Dieu, c’est notre pauvreté, le reste Il l’a déjà. Prier c’est la lui présenter ».

11. Je devrais confesser que lire votre ouvrage m’a aidée à ne pas pointer du doigt le frère, mais à reconnaitre combien je peux être fanatique dans mon jugement et dans ma façon d’être, et que nous pouvons tous tomber dans ce piège. Alors commençons à purifier nos cœurs, regardant l’autre comme une richesse, une voie qui peut nous porter à Dieu. Un mot pour conclure ?
« Il est très humain de dire que le fanatique c’est toujours l’autre. Les problèmes sont chez les autres et c’est quelque chose de rassurant. Or il s’agit d’une tentation du cœur humain. C’est la solidarité des pécheurs : au fond on est tous pécheurs. Jésus dit à ceux qui menacent la femme adultère : « Celui qui n’a jamais péché, qu’il lui lance la première pierre. » Ce n’est pas que tout le monde a fait la même chose mais personne ne peut dire je suis au-dessus de tout cela. Ce n’est pas vrai ! Insulter n’est pas comme tuer mais nous sommes solidaires, tous dans le même bateau et personne n’est à l’abri du péché : Tous nous avons cette « fraternité » des pécheurs et ce sont ces pécheurs que le Seigneur vient aimer et sauver. Jésus se met uniquement en colère contre les pharisiens et ce ne sont pas les plus mauvais, au contraire ils font très attention à leur vie religieuse ; le vrai problème est qu’ils se croient au-dessus de la fraternité des pécheurs ! Si vous pensez que vous n’avez pas besoin d’être sauvé, vous n’êtes pas sauvable. La solidarité dans le péché a l’avantage de la solidarité dans le Salut ».

(deuxième partie)
Propos recueillis par Rima Saikali

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