Voyage en Italie: Mafia ou Réfugiés?

Au mois d’août, je suis allé en Italie pour rendre visite à ma famille. Pour moi,  pour beaucoup de libanais, août est souvent le mois pour un retour aux origines, une occasion pour établir ou renouveler des contacts de travail et de collaboration.
Un jour, dans le train entre Gênes et Rome, je me suis trouvé à côté d’une dame d’à peu près mon âge, que j’appellerai Amélie. Elle allait à Naples sa ville d’origine. Moi, j’ai vécu à Naples pendant 15 ans, ville qui a pour moi une grande valeur : je l’ai aimée et j’y ai appris le style de vie méditerranéen, ce qui m’a beaucoup aidé pour comprendre le Liban et son peuple, un pays où je me sens bien plus qu’un hôte.
Naples est une ville comme Beyrouth et chef-lieu d’un territoire qui a presque le même nombre d’habitants que le Liban. Une ville riche d’histoire (fondée par les grecs au huitième siècle av. J.C.), capitale pendant 800 ans d’un royaume qui fait partie de l’Italie depuis son unification il y a seulement 150 ans. C’est une ville magnifique et pleine de contradictions : chômage, problème des déchets, chaos urbain… et la camorra. C’est assez facile d’expliquer ce qu’est la camorra, et bien plus difficile de l’éliminer : c’est une organisation criminelle, semblable à la célèbre mafia sicilienne. Un État dans l’État, avec ses lois d’honneur, les trafics illégaux, les chantages, le contrôle du territoire, la drogue, la prostitution, les assassinats et les victimes innocentes.
Dans le train avec madame Amélie, après les présentations, c’était inévitable de parler du Liban (comment il est, comment on y vit, les guerres du Moyen-Orient, les réfugiés, etc.), et de Naples (le nouveau métro, le maire, le trafic, la pizza, la mer, etc.).
Tout allait bien jusqu’au moment où j’ai dit une phrase, ces phrases qu’on dit sans trop y penser, en faisant une comparaison presque impossible. Ma phrase a été : “ chacun a ses problèmes à résoudre : au Liban il y a les réfugiés, et à Naples la camorra” ; phrase manquée, sinon malheureuse, car les réfugiés ne sont pas seulement un problème mais surtout des personnes qui vivent un drame : hommes, femmes et surtout enfants.
Amélie m’a regardé en faisant signe que oui, et m’a dit : “certainement, c’est difficile de choisir entre les deux, mais je crois que c’est mieux la camorra”.
J’étais stupéfait. Préférer les criminels aux réfugiés ?
Amélie a remarqué mon regard interrogateur et un peu bouleversé, et a expliqué : “tout compte fait, au moins les criminels s’occupent de leurs affaires… il suffit de n’avoir rien à faire avec eux. Ceux-là, au contraire…”.
“Qui ? Les réfugiés ? ”
“Oui, ils sont musulmans, n’est-ce pas? Ils viennent chez nous, font des attentats, et tuent beaucoup de gens innocents !”.
Après mes protestations que les réfugiés ne sont pas des terroristes mais des victimes, elle a conclu en disant : “eh! On ne sait jamais ce qu’ils pensent, ces gens-là ! ”.
Je suis resté silencieux. Comment est-ce possible qu’une personne puisse croire que tous les réfugiés soient musulmans, et donc des terroristes ?
Peu à peu, je me suis rendu compte que madame Amélie était elle-même une victime. Victime de l’ignorance, et donc aussi peut-être de préjugés, mais surtout victime des informations prends et jette, des informations-ordures, ou trash, comme on dit en anglais. L’information de beaucoup de médias commerciaux qui crachent de temps en temps des nouvelles, dans le but de rendre sensationnelles même les choses les plus affreuses ou en faisant de la mort un show en direct.
Je suis descendu du train assez triste, parce que beaucoup de gens pensent comme madame Amélie.
Étant journaliste, j’ai senti, plus que le devoir, le besoin de donner des informations vraies et lues avec intelligence, pour m’aider moi-même et les lecteurs à en comprendre la valeur et la portée. Et à “voir” les hommes et les femmes, les enfants et les anciens, bref les personnes, comme sujets (ou victimes, mais toujours sujets) des événements et non comme des objets à manipuler pour attirer l’attention.

Bruno Cantamessa

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